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jeudi, 20 décembre 2007

L'affaire Manouchian par André Calvès

REFLEXIONS APRES LE FILM ET
LE DEBAT SUR L'AFFAIRE MANOUCHIAN
 
(Émission télévisée du 3 juillet 1985)

1) Ambiance peu faite pour instruire les gens qui n’ont pas vécu cette période. Chaban-Delmas et quelques autres excellent dans l’art des roucoulades sur l’union des résistants, sur l’amour sacré de la patrie. Cela permet d’escamoter le fait que 98 % de la police française collabora très activement avec les nazis ; le fait que les FTP ne reçurent jamais directement une arme de Londres. Le fait que l’un des principaux soucis des dirigeants gaullistes était d’éviter une « Commune de Paris », etc.

2) Au cours du débat, on découvre que la direction PCF est encore plus représentée que prévu. Outre le délégué officiel, il y a un historien en service commandé et un militant arménien très « dans la ligne ».

Visiblement la droite et les socialistes ne désirent pas faire trop de peine à la direction PC ? Dans cette affaire, du moins.

3) Quand il est question de la fin de la lettre de Manouchian dans laquelle il dit avoir été trahi et vendu, le représentant PCF estime évident que ces propos visent le gouvernement de Vichy ; mais il ne veut pas savoir pourquoi cette phrase disparut chaque fois que le PCF publia la lettre de Manouchian.
Bizarre ! Il oublie aussi, délibérément, l’histoire de la brochure sur l’action des militants juifs dans le Sud-Ouest et l’ordre qui fut donné de « franciser » leurs noms.

4) On voit mal, comment, il eut été possible de faire quitter Paris à tout un groupe de militants qui étaient déjà repérés. Il semble qu’ils auraient été suivis encore plus facilement en province.

5) On comprend mal comment la direction PCF aurait pu laisser sans subsides les groupes MOI à un certain moment. En principe, c’était toujours des équipes FTP qui s’occupaient de récupérer de l’argent, des cartes d’identité et de ravitaillement. Normalement les MOI ne devaient pas avoir besoin de la direction PCF pour s’occuper de cela.

6) Etant donné les points 4 et 5, aucune précision ne permet d’affirmer que les MOI auraient été trahis par la direction PCF.

7) Ceci dit, il est certain qu’il y eut toujours des équivoques entre la ligne de Moscou incarnée par Duclos et les aspirations de la base communiste. Il parait plus qu’évident que les MOI devaient être pleins d’amertume en constatant que pendant une longue période, ils furent seuls, sur Paris, à mener une action contre l’occupant. Ces militants MOI ne pouvaient pas ne pas se demander ce que faisait le puissant PCF dans la même période. S’il y avait eu d’autres compagnies FTP sur la ville, les MOI auraient été soulagés d’autant et l’action de la Gestapo et des policiers français aurait été bien plus difficile. Or, les communiqués militaires publiés par la presse clandestine du PCF prouvent eux-mêmes que pendant une longue période, seuls les MOI combattirent sur Paris. Pourquoi ?

8) Il est certain que jusqu’à la fin 1943, la nécessité d’une lutte armée n’était pas évidente aux yeux de beaucoup de militants communistes en région parisienne. Par contre les militants juifs qui avaient vu toute leur famille déportée, les militants espagnols qui sortaient d’une dure guerre civile et qui avaient déjà connu les camps d’internement français, tous ceux-là qui vivaient déjà « hors la loi » étaient acquis à l’idée de la lutte armée.
Il saute aux yeux qu’ils étaient également acquis à l’idée d’une révolution sociale. Qui peut imaginer un seul instant que cent militants juifs hongrois, espagnols, italiens et arméniens aient pris les armes pour la « patrie française » seuls au milieu de trois millions de Français qui étaient pour le moins « attentistes ».
 
Il est significatif que devant le tribunal allemand, le militant Alfonso déclare : « Les ouvriers doivent prendre les armes pour se défendre. » Il ne dit pas « les Français » mais bien « les ouvriers ».
Tout en développant un super patriotisme chauvin dans sa presse, la direction PCF laissa espérer aux militants de base l’espoir d’une révolution sociale à la libération. Toute l’équivoque est là !
 
Une direction digne de ce nom, aurait utilisé le courage et le dynamisme des MOI pour contribuer à l’encadrement et à l’instruction de jeunes ouvriers français. Les uns et les autres se seraient instruits et protégés, alors que des détachements juifs ou arméniens étaient forcément très isolés dans la population et voués à l’anéantissement. Mais s’ils avaient vécu, il est plus que douteux qu’ils eussent accepté la formule de Thorez : « Un seul Etat, une seule armée, une seule police ! »

9) Le moins qu’on puisse dire, c’est que des MOI, morts, causaient moins d’ennuis à Staline et Duclos que des MOI vivants. On peut honorer les morts et même s’en parer, alors que les vivants parlent.

Il est notoire que Staline fit massacrer en Hongrie, Pologne et Tchécoslovaquie tous les hommes des brigades internationales d’Espagne que Hitler n’avait pas réussi à tuer.
Il est notoire que le chef de l’Orchestre Rouge fut récompensé par dix ans de prison à Moscou. Dix ans qui auraient été l’éternité si Staline n’était pas mort. Or, tout comme les MOI, il s’agissait non pas de militants trotskystes, mais d’hommes qui avaient confiance en Staline. Leur tort était de croire en un Staline fidèle aux idées communistes. Ils risquaient fort un jour de devenir des opposants. D’une manière ou d’une autre, beaucoup périrent « préventivement ».

10) Dans une armée ne règne aucun semblant de démocratie. Quand un journal écrit : « L’armée est mécontente du gouvernement » cela signifie simplement que les généraux sont mécontents. Quand un journal écrit que tel général est une ordure sadique, ce journal insulte « l’armée » et chaque sergent explique à chaque soldat qu’il doit se sentir gravement offensé.
Si un soldat ne fait tuer héroïquement à cause de l’ordre imbécile d’un général, l’armée toute entière est priée de se sentir honorée par cet héroïsme et le général imbécile ne craint pas de se sentir honoré également. L’armée a un drapeau. C’est un symbole très important pour le soldat mais peu gênant pour le général.
Le Parti Communiste de Duclos-Thorez fonctionnait comme une armée avec, toutefois, un congrès annuel qui n’était plus qu’une ancienne coutume sans importance.
Jamais un congrès ne décida un tournant important. Les généraux apportèrent aux troupes disciplinées, le pacte franco-soviétique et la fin de l’antimilitarisme, le pacte germano-soviétique et la révision de l’antifascisme, la fin de l’internationalisme et la formule : « À chacun son Bôche et la France sera sauvée », la fin d’une véritable volonté de transformation sociale et la reddition des armes. Jamais un militant ne fut consulté préalablement sur ces questions capitales. Le pli est si bien pris que le militant apprit à la télévision par la bouche de Marchais que la notion de « Dictature du prolétariat » n’était plus de mise.
 
Dans le parti de Thorez-Duclos, le drapeau était le Communisme. Le mot était devenu tellement détaché du contenu qu’il n’était plus qu’un morceau de tissu sur une hampe. Symbole très important pour le militant mais peu gênant pour le général.
Il n’empêcha pas Staline de livrer des militants communistes allemands à Hitler en 1939. Mais critiquer cette action abominable, c’était faire de l’anticommunisme ! Ainsi, l’Eglise catholique condamna comme anti-chrétiens tous ceux qui dénonçaient le luxe du Vatican et la vente des indulgences.

11) Doit-on conclure que Moscou et le PCF n’ont plus rien à voir avec la Révolution d’Octobre ?
Ceux qui pensent ainsi réussissent parfois à convaincre des militants, mais ils ne réussirent pas à convaincre l’impérialisme allemand qui traitait assez correctement les officiers anglais prisonniers alors qu’il massacrait impitoyablement les officiers et les cadres soviétiques.
Ils ne réussissent pas à convaincre Reagan qui accuse — à tort souvent — l’URSS d’aider tous les mouvements de libération. Ils ne peuvent convaincre nombre d’ouvriers qui voient que deux fois sur trois c’est un militant communiste qui risque le licenciement pour défendre les revendications des camarades. Il est certain qu’existe en URSS une couche sociale privilégiée qui vit sur les acquis de la Révolution d’Octobre, qui craint un prolétariat conscient et qui a peur de l’impérialisme. Il est certain aussi que jamais l’impérialisme n’a attaqué ou menacé l’URSS pour punir les vilains profiteurs et venger les ouvriers.
 
Le bureaucrate russe a accumulé les crimes à l’intérieur et fait preuve de myopie politique à l’extérieur. Le résultat a été la montée du nazisme puis l’invasion de l’URSS. Après avoir dit lamentablement le 22 juin 1941 : « Nous n’avions pas mérité cela » (Molotov) ; après qu’il eut fallut douze jours à Staline pour sortir d’un silence non moins lamentable, la bureaucratie s’est ressaisie et a pu conduire une guerre victorieuse car c’était le sort de tout un peuple qui était en jeu.
Le résultat des actions du « génial » Staline fut, il est vrai, que cette guerre coûta 20 millions d’hommes à l’URSS contre 5 millions à 1’Allemagne.
 
Le militant de base dont l’éducation politique a été remplacée par la croyance aveugle dans les « chefs aimés », ne comprend rien lors des tournants à droite. Lorsque le résultat des ces tournants amène une situation grave qui menace la condition même du bureaucrate, ce dernier proclame un tournant « à gauche ».
 
Le militant inéduqué se réjouit, constate à voix haute que les chefs n’ont pas changé et attribue son trouble passé au fait qu’il n’est pas assez instruit par sa propre faute. Ce militant se lance dans la lutte, et il a raison car c’est aussi son sort qui est en jeu, et c’est seulement dans la lutte qu’il a quelques chances de mieux comprendre la situation et de peser sur elle.
Par milliers, par dizaines de milliers, des militants déçus, écœurés, demeurent sur le bord de la route. Souvent ils sont écrasés tout de même.
 
Les combattants des MOI sont morts, mais en marchant !
Honneur à eux !
 
André Calvès
(1920-1996)