vendredi, 01 février 2008
La journée d'un "terroriste"
On ne devait pas se connaître par nos vrais noms, en cas d’arrestation. On m’a demandé de choisir un pseudonyme. J’ai proposé “Jean”, c’était déjà pris, “Paul”, déjà pris, et ainsi de suite. A un moment donné, j’ai pensé à l’oiseau, Woody Woodpecker, j’ai dit “Pivert”. On me l’a accordé. On ne devait pas aller au cinéma, pas entrer dans les cafés, pas prendre le métro, éviter tous les lieux où il y avait des contrôles. On n’avait le droit d’aller nulle part en somme. J’allais au cinéma… bien que ce soit interdit. J’allais voir ma mère, j’avais pas le droit, mais j’y allais quand même, pour manger. J’avais faim, toute la journée j’avais faim. Je ne pensais qu’à ça. Et puis je marchais dans Paris, pour aller aux rendez-vous. Il faut l’avouer, je m’emmerdais, marcher toute la journée ce n’est pas une partie de plaisir. Sauf quand j’ai fait équipe avec Plombier : on avait le même âge, on marchait ensemble, on parlait… et il savait faire des crêpes à la farine de haricot. C’était bon. On allait dans un restaurant à St Michel où on servait du lapin. A l’époque quand tu commandais un plat de viande, il fallait donner un ticket d’alimentation. Là ils n’en exigeaient pas : je me demande si le lapin ce n’était pas du chat. Le soir, je retrouvais ma chambre. C’était une mansarde pleine de… punaises. Un enfer. C’est Gilbert qui m’avait trouvé cette chambre. Comme j’étais pas majeur, c’est lui qui m’a servi de tuteur auprès de la propriétaire. On touchait 2 300 francs par mois. Vers le 20 de chaque mois, il ne me restait plus grand chose pour vivre. J’allais plus souvent chez ma mère.
LES ARMES
Un jour Plombier m’a dit “viens je vais t’apprendre à te servir d’un revolver”. Il m’a emmené en forêt de Viroflay, il a épinglé un journal contre un arbre ; on s’est mis à une dizaine de mètres et on a tiré. J’ai manqué le journal. C’est la seule fois où j’ai eu à me servir d’un revolver pendant la guerre.
On m’a fixé un rendez-vous avec Manouchian. C’était le responsable.
C’est le seul que j’ai connu. C’est lui qui fixait les objectifs, qui nous donnait nos salaires, nos tickets d’alimentation.
L’équipe spéciale c’était Rayman, qui avait un ou deux ans de plus que moi, Alfonso qui avait fait la guerre d’Espagne et un Allemand, très sévère, qui se faisait appeler Marcel 3 et qui avait un accent terrible, il ne voulait pas que je lui parle dans la rue, pour ne pas avoir à répondre.
L’ATTENTAT “REUSSI-MANQUE”
CONTRE LE GENERAL VON SCHAUMBURG
Manouchian m’a dit que des camarades avaient repéré le général commandant du Grand-Paris et qu’ils avaient préparé une action contre lui. On devait l’attaquer dans sa voiture qui passait tous les jours avenue Paul-Doumer. C’était une voiture décapotée. Nous étions quatre. Marcel*, l’Allemand sévère, devait lancer une grenade sur la voiture. Rayman était première défense, moi deuxième défense. Et il y avait un quatrième combattant 4 qui devait nous prévenir, par un signe, de l’arrivée de la voiture. De ma place, je ne voyais rien de l’action ; je devais attendre que Marcel et Rayman se replient en passant devant moi pour me retirer. Si quelqu’un les poursuivait je devais l’abattre. J’étais à mon poste, j’attendais. Et tout d’un coup j’ai entendu l’explosion. Marcel et Rayman sont passés devant moi et je me suis replié. L’action semblait avoir réussi. On en était convaincus. Le seul problème, c’est que le général ne se trouvait pas dans sa voiture ce jour-là. Mais ça, on ne l’a su que 20 ans plus tard…
LES FILATURES
On était filés depuis des mois. Je le voyais. J’ai vu Plombier suivi. J’ai vu Davidowicz se faire suivre. Je passais mes journées à essayer de “défiler les filatures” ; j’utilisais la station de métro Arsenal qui était peu fréquentée : je montais dans un wagon et au moment où les portes allaient se refermer je sautais sur le quai qui était désert. Mais les filatures reprenaient quelques jours plus tard. Les flics, les flics français, tissaient autour de nous une toile et ils attendaient le moment propice.
MA DERNIERE ACTION
Le service de renseignement avait repéré un major allemand qui allait s’asseoir tous les matins au Parc Monceau pour lire. Le service de renseignement c’étaient des camarades, des femmes principalement, qui circulaient dans Paris à la recherche de cibles. On en a parlé à deux ou trois rendez-vous et Manouchian nous a donné l’ordre de l’abattre. C’est Alfonso qui a été chargé de l’action. Il devait venir à vélo, tirer sur le major à bout portant, et s’enfuir. Rayman était première défense, moi deuxième et Marcel derrière nous en observateur.
L’AFFICHE ROUGE ?
*Il s’agit probablement de Léo Kneller.
02:40 Publié dans A PROPOS DES FTP-MOI | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Kojitsky, Pivert, FTP-MOI, Manouchian, Kneller, Rajman, Alfonso | Imprimer | Facebook |
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