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samedi, 31 décembre 2011

Henri Karayan nous a quittés

HENRI KARAYAN

1921-2011

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« Je n’ai jamais tué d’Allemands, je n’ai tué que des nazis »

Henri Karayan

podcast

Henri Karayan nous a quittés le 2 novembre 2011. L’hommage que nous lui rendons ici contribue à faire vivre la trace mémorielle. Le site « Affiche rouge » a pour vocation d’informer et de maintenir une mémoire vivante de celles et ceux qui se sont battus, juifs, communistes, étrangers contre le nazisme. C’est sous le seul terme de terroristes organisés dans l’armée du crime que l’Affiche rouge, de sinistre mémoire, qualifiait ces femmes et ces hommes unis dans un combat « à la vie, à la mort ». Une lutte inscrite dans notre histoire comme une profonde blessure, un combat qui pour certains avait commencé dans les Brigades internationales en Espagne (Joseph Epstein [colonel Gilles], Wolf Boczov [responsable du 4e détachement des FTP-MOI] et toute une jeunesse qui, avec Missak Manouchian, Marcel Rajman, Tamas Elek, Olga Bancic…, et tant d’autres, allait au cours de l’année 1943 porter des coups décisifs contre les nazis et autres collaborationnistes vichystes. Henri Karayan faisait partie de cette belle jeunesse portant les mots liberté, émancipation au plus haut des valeurs humaines, cette liberté que tous revendiquaient au nom de l’internationalisme, de la fraternité entre les peuples pour l’autodétermination. Cette liberté, qui pour beaucoup d’entre eux, était immanente à l’idée du communisme, une haute idée de l’humanité ruinée par le désastre du stalinisme, certains parleront de dégénérescence, mais une idée toujours vivante qui ne se laisse pas enfermer dans le carcan bureaucratique, pas plus qu’elle ne saurait se réduire à une simple assimilation au Goulag, à l’expérience tragique de la Kolyma. Ce que tout mouvement d’émancipation porte en lui, c’est l’idée du communisme. Si nous nous permettons cette digression, c’est que nos conversations avec Henri Karayan, souvent téléphoniques, s’achevaient toujours sur cette détermination, le communisme est la plus haute idée que les peuples peuvent porter au sommet de leurs luttes pour la liberté. Henri Karayan savait faire la différence, parlant de ses camarades et de lui-même, il disait : « Nous n’étions pas staliniens, nous étions communistes internationalistes. »

Rendre hommage à Henri Karayan, c’est aussi se remémorer le souvenir de ses camarades, retracer ce parcours dans le siècle, sans prétendre à l’exhaustif qu’exclue la forme d’un article, pas plus qu’il n’est question d’argumenter autour d’un matériel biographique. Henri Karayan est né en 1921, à Istanbul (Turquie). Comme beaucoup d’Arméniens contraints à l’exode suite aux persécutions subies par les siens, la famille Karayan est recueillie par le croiseur Edgar Quinet qui les amènera jusqu’à Toulon. C’est à l’année 1937 que remonte sa première rencontre avec Missak Manouchian. En 1938, Manouchian fait une halte à Décines (région de Lyon) où habite la famille Karayan, il avait entrepris une tournée des communautés arméniennes dans toute la France avec pour ambition de structurer, fédérer celles-ci en une Union populaire franco-arménienne, Henri n’est alors âgé que de dix-sept ans. Laissons-lui la parole pour évoquer cette rencontre : « Lors de notre première rencontre, il [Manouchian] me parla d’Aragon et d’Éluard, qu’il connaissait. Il se tenait informé de la vie des gens de Décines. Je lui avais parlé des ouvriers de chez Gillet (Textile – NDLR), tous pris dans un même cercle vicieux : à la merci de leurs patrons, que ce soit pour le logement ou les salaires. Ils tenaient rarement plus de cinq ans. S’épuisant sur des bains d’acide utilisés pour la fabrication de la soie artificielle, ils finissaient vitriolés de l’intérieur… Et pourtant, ils restaient. Heureux quand ils étaient Arméniens, s’ils n’étaient pas expulsés pour avoir envoyé un colis en Arménie. Le pire, c’est que l’homme qui les mouchardait était un Arménien. Peu avant la victoire du Front populaire, les salariés avaient fait grève, quatre mois durant… Voilà de quoi nous avions parlé, lors de cette première rencontre. » (L’Humanité, 21 février 2004).

En 1940, alors qu’il est souffrant et très affaibli, Henri Karayan est arrêté et incarcéré à la prison Saint-Paul de Lyon avec pour seul chef d’inculpation « individu douteux » (comprendre étranger). Il est ensuite transféré au camp de Loriol dans la Drôme, puis dans celui du Vernet. En 1941, il est livré aux Allemands et contraint d’aller travailler de l’autre côté du Rhin. C’est en ces circonstances qu’il fait la connaissance de Léo Kneler, jeune communiste juif allemand, évadé des prisons nazies dans les années 1930 et chargé d’organiser les réseaux de résistance en Allemagne. En 1942, Henri Karayan et Léo Kneler se retrouvent à Paris, rapidement il présente Kneler à Manouchian.

Comme bon nombre d’autres jeunes résistants, c’est en distribuant à la volée des tracts, en collant des papillons d’insoumission à l’occupant sur les murs de Paris, que Karayan et ses camarades font acte de résistance. Très vite, le constat d’insuffisance de cette pratique les amène à passer à la lutte armée. L’année 1943 est décisive, Manouchian incorpore Karayan sous le pseudonyme de Louis, matricule 10308 à une équipe de jeunes qui sont sous son commandement : Marcel Rajman, Tamas Elek… D’avril à novembre 1943, les actions les plus spectaculaires vont contraindre l’occupant à redoubler de méfiance et provoquer une véritable psychose dans les rangs de l’armée allemande. Une armée certes, mais qui doit affronter au quotidien une guérilla urbaine dont les actions sont imprévisibles et c’est bien là la force de cette stratégie élaborée par Joseph Epstein (le colonel Gilles, responsable militaire des FTPF de la région parisienne). Face à cette situation, l’État français vichyste, largement épaulé par le zèle collaborationniste de la police française, de ses services de renseignements anti-communistes dont la méticulosité rendra honteusement célèbres les brigades spéciales, leur organisation et leur détermination à anéantir la résistance en arrêtant, torturant et exécutant les combattants FTP et FTP-MOI, fera preuve de la plus grande efficacité.

En 1944, après l’exécution de Manouchian et de ses 22 compagnons, (Olga Bancic sera décapitée à Stuttgart en Allemagne), Henri Karayan rejoint la résistance dans le Loiret. Il deviendra officier interprète.

Après la guerre, il se marie et exercera le métier de journaliste, puis de commerçant.

Patrice Corbin

Le 31 décembre 2011