Olga Bancic, un livre de Marie-Florence Ehret (samedi, 06 juin 2015)

UNE JEUNE MÈRE DANS LA RÉSISTANCE

OLGA BANCIC

 

Marie-Florence Ehret

 

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COMMUNISTE, ROUMAINE ET JUIVE,

UNE VIE ASSASSINÉE

 

Après la « panthéonisation » et la momification consacrant l’entrée sous l’édifice des « grands hommes » de quatre grandes figures de la Résistance, à l’heure des discours phagocytés par la parole étatique occultant ce que fut le combat mené par les communistes FTPF et FTP-MOI, au moment où la parole émancipatrice est réduite au seul sens de l’acception du « monde tel qu’il est », il est urgent que la mémoire s’insurge, que des voix lointaines s’élèvent. Polonais, Espagnols, Hongrois, Roumains, Allemands, anciens brigadistes de la guerre d’Espagne, combattants antifascistes, communistes internationalistes pourchassés dans leurs pays d’origine, juifs victimes des pogroms, Olga Bancic, Thomas Elek, Marcel Rajman, Missak Manouchian, Joseph Epstein…, et tant d’autres sont les noms qui résonnent sur le chemin chaotique de la fraternité entre les peuples. Manouchian et ses 22 camarades du 21 février 1944, Epstein et les 28 autres condamnés du 11 avril, Olga Bancic du 10 mai de la même année ; leur sacrifice est un symbole, il est la force et l’élan d’une jeunesse qui s’illustra jusqu’à l’abnégation dans le combat mené contre les nazis. Ces vies assassinées dans la tourmente d’un siècle de terreurs et de massacres, ces vies offertes par celles et ceux qui faisaient l’histoire, ceux-là peuvent aujourd’hui reposer sous le drapeau rouge de l’internationalisme. Ils nous incitent à défier les renoncements et à porter toujours plus haut l’idée communiste.

 

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« Si l’écho de leurs voix faiblit, nous périrons… », ce sont les mots de Paul Éluard, cette parole du poète qui invite à la mort absentée, au nom sans corps, à cette trace mémorielle, trace du sang de celles et ceux qui disparurent dans l’abîme de l’histoire. Marie–Florence Ehret interroge un silence, un visage sur une petite photographie où la beauté dépasse de loin la simple plasticité, un visage de bonheur et d’humanité. Olga Bancic tient dans ses bras la petite Dolorès, sa fille, un sourire de mère aux lèvres, de femme qui aime, une « amoureuse de la vie à en mourir », une femme communiste, roumaine et juive. Une femme qui a dit non à toutes les capitulations, qui a combattu toutes les humiliations, cette femme qui serre son bonheur pour en faire une arme, une arme pour la liberté, pour cette société communiste dont elle rêve et pour laquelle elle s’est battue, c’est Olga Bancic, une militante qui fut enfermée à la prison Vacàresti (Roumanie) en 1932, une combattante qui ne renonça jamais.

 

Marie-Florence Ehret donne une voix à Olga, à Pierrette, son nom dans la Résistance ; elle nous vient de loin cette jeune femme, née en 1912, à Kishinev en Moldavie, elle contribua à la construction du jeune parti communiste roumain et regardait la révolution soviétique comme une promesse de fraternité, d’égalité et de bonheur pour tous les exploités ; sa jeunesse allait incarner ce qu’il y a de plus beau, la lutte sans relâche pour l’émancipation. Elle reste gravée dans notre mémoire et son nom est inséparable de celui de ses camarades du « groupe Manouchian » tel qu’il fut baptisé après la guerre. Manouchian, Boczor, Rajman, Elek, Lev Dav’Tian…, vingt-deux noms inscrits pour le poteau, pour la fusillade au Mont Valérien le 21 février 1944. Olga, la seule femme jugée en même temps qu’eux lors d’une parodie de procès à l’hôtel Continental, rue de Rivoli, condamnée à mort, n’eût pas cet honneur du peloton que l’on réserve aux hommes, elle fut déportée en Allemagne subissant la torture et les privations, puis emmenée à Stuttgart le 6 mai 1944, elle fut décapitée le 10 mai de la même année à six heures, dans la cour de la prison, elle avait trente-deux ans.

 

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Il est toujours périlleux d’évoquer la vie, le combat de ces héros emblématiques, ne risque-t-on pas de sombrer dans le pathos ? La tragédie est telle que l’émotion peut très vite supplanter les faits, la dure réalité. Marie-Florence Ehret ne se laisse pas submerger par l’émotion, si le récit est sensible, d’une plume alerte et sans fioritures, il n’occulte en rien ce que fut, notamment, cette terrible année 1943 qui s’achève le 16 novembre pour ceux de la triste et célèbre Affiche rouge. Le récit est vivant et nous sommes pris dans le tourbillon des actions menées par Pierrette, Marcel, Missak, Henri,… le courage, l’audace parfois à la limite de l’inconscience comme me le soulignait un jour Henri Karayan, un camarade d’Olga, voilà ce qui faisait le quotidien de ces femmes et de ces hommes, toutes et tous animés par une même flamme, un même désir, combattre les nazis jusqu’à la mort, lutter pour la liberté et l’autodétermination des peuples.

 

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La pratique de la guérilla urbaine fit ses preuves en termes d’efficacité, les actions coordonnées par Missak Manouchian, dès avril 1943, s’élaboraient minutieusement, parfois après des semaines de « planque » pour noter les habituels déplacements ou autres mouvements. À titre d’exemple, écoutons Boris Holban (1) nous relater la préparation de l’action contre le général SS Ritter. C’est l’« équipe spéciale » (2) qui est chargée de cette action : « Je me rends sur place [Holban]. Pas de boutiques, pas de circulation ; l’endroit est idéal pour une attaque surprise. Je décide que l’équipe spéciale sera chargée de l’attaque et mets au point un plan d’opération avec Marcel Rajman. Le général est d’une grande ponctualité. Tous les matins à 8 h 30, la voiture à fanion se présente devant le 18, rue Pétrarque pour ne stationner que quelques minutes. Il faudra frapper au moment précis où l’homme monte dans sa voiture, pour ne pas lui laisser la moindre possibilité de réagir. De son domicile au coin de la première rue transversale, il n’y a qu’une vingtaine de mètres. Nous chronométrons le temps nécessaire pour parcourir cette distance et parvenir devant le domicile au moment même où Ritter s’engouffre dans sa voiture. Le scénario est prêt : Rajman doit guetter la sortie de l’homme, se trouver à sa hauteur au moment où il entre dans la voiture, lui tirer dessus et continuer son chemin sans même retourner la tête. Alfonso doit le suivre à quelques pas et achever le travail si nécessaire. Kneler se tiendra sur l’autre trottoir, assurera sa défense et surveillera les alentours. Les itinéraires de repli sont établis. Tout a été calculé à la seconde près. » On constate que les actions étaient préparées avec la plus grande méticulosité, cette exécution est décrite dans le livre de Marie-Florence Ehret, le juste récit n’entame en rien la réalité des faits, et Olga ? « Plus tard la parole des témoins s’embrouillera. Quels témoins d’ailleurs ? Pas de caméras de télévision, pas de téléphone portable pour filmer la scène, rien que des hommes dont le taux d’adrénaline a atteint des sommets. Une scène dont les acteurs principaux sont morts depuis longtemps et que les autres ont fuie au plus vite. Une scène dont Olga ne connaîtra jamais le déroulé exact, elle qui se tenait pourtant à quelques centaines de mètres à peine. » (3)

 

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Après Le Tombeau de Tommy (4), Missak (5) et Après nous (6), le livre de Marie-Florence Ehret Une jeune mère dans la Résistance, Olga Bancic, contribue à donner une voix à cette jeunesse sacrifiée. Par Olga Bancic et avec l’auteur de ce récit, c’est l’importance déterminante du rôle des femmes que nous devons retenir, c’est aussi la tragédie de cette jeunesse plongée dans l’horreur de la guerre, c’est leur courage, leur désir de vivre jusqu’au bout, sans jamais baisser les yeux devant l’injure, l’humiliation, la répression sanglante et la mitraille des nazis, sans jamais abandonner ce qui les constituaient charnellement, la lutte pour l’égalité et la fraternité entre les peuples.

 

 

Le livre de Marie-Florence Ehret  est aussi un document pédagogique et historique à mettre entre toutes les mains, la documentation iconographique nous présente au détour de simples petites photos cette femme merveilleuse que fut Olga Bancic, cette mère sacrifiée au temps de l’oppression et de l’horreur. L’entretien avec Irma Mico (7) est du plus haut intérêt et nous montre à quel point la présence mémorielle d’Olga et de ses camarades est un chapitre à jamais gravé dans l’histoire universelle de l’émancipation. C’est aussi un livre de lutte, un pied de nez au renoncement.

 

 

Le 4 juin 2015

 

Patrice Corbin

 

 

1. Boris Holban, Testament. Après 45 ans de silence, le chef militaire des FTP-MOI de Paris parle…, (pp.170-171)Calmann-Lévy, 1989.

 

2. L’équipe spéciale était constituée de Celestino Alfonso (dit Pierrot), de Spartaco Fontanot, de Léo Kneler, de Raymond Kojitski et de Marcel Rajman. Elle fut opérationnelle de juillet 1943 à octobre de la même année. Après la grande traque qui fit tomber, le 16 novembre 1943, Missak Manouchian, Joseph Epstein et de nombreux autres combattants dont Olga Bancic, les actions des FTP-MOI cessèrent.

 

3. Marie-Florence Ehret, Une jeune mère dans la Résistance, Olga Bancic, Oskar éditeur, 2015.

 

4. Alain Blottière, Le Tombeau de Tommy, Gallimard, 2009.

 

5. Didier Daeninckx, Missak, Perrin, 2009.

 

6. Patrick Fort, Après nous, Celestino Alfonso, guérillero dans la Résistance française, Éditions Le Solitaire, 2012.

 

7. Irma Miko (ou Mico) naît en 1914 à Czernowitz dans l’Empire Austro-Hongrois. Promise à une brillante carrière de pianiste concertiste, elle rallie cependant la cause communiste et milite dans les années trente à Bucarest, où elle se forme au travail clandestin. Alors que la Roumanie plonge dans le nationalisme et l’antisémitisme, Irma, Juive, part en France enrôler des brigadistes pour la guerre d’Espagne. Quand les Allemands envahissent la France, Irma est à Paris et prend part à la Résistance des étrangers (FTP-MOI). On lui confie alors une mission des plus périlleuses : enrôler des soldats de la Wehrmacht dans la Résistance…

 

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